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L'ÉTUDE DE CAS DU GROUPE AKAN

Les groupes matrilinéaires en Afrique de l'Ouest

par Phil Bartle

traduit par Clare Milochau, Marie Krishnan

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Un exemple de la grande diversité des systèmes de parenté

Le Canada accueille des immigrants originaires de plusieurs centaines de sociétés différentes.  Cette réalité permet d'expliquer l'existence de formes et fonctions familiales très diverses au Canada.

La structure familiale de la société akan d'Afrique de l'Ouest, que j'ai choisi d'observer, en est un bon exemple.  Visitez également le site Internet de Citoyenneté et Immigration au Canada (rubrique "Le Ghana") pour lire le "profil culturel" du Ghana.

Le mot "famille" tire son origine du terme latin "familia", dérivé de famulus qui  signifiait serviteur.  Il n'existe pas de mot équivalent dans la langue akan.  Par ailleurs, la famille n'est pas une institution universelle contrairement à ce que les sociologues pouvaient supposer autrefois :  la famille nucléaire était, selon eux, la clef de voûte de tous les systèmes de parenté.  Or, l'existence des sociétés matrilinéaires invalide cette hypothèse.  En effet, dans la société akan, la famille nucléaire ne constitue pas l'élément fondamental de son système puisque ce concept n'existe même pas.  Pour désigner leur système de parenté, les Akan emploient deux mots :  "abusua", qui signifie groupe de descendance, et "fifo" (littéralement gens de la maison) qui signifie groupe domestique ou noyau résidentiel.  Lorsque les Akan installés au Canada emploient le mot anglais "family" pour parler de leur "famille" restée au Ghana,  ils font référence à leur "abusua".

Qu'est-ce qu'un groupe de descendance ?  Il s'agit d'une organisation sociale de parents qui sont liés par la consanguinité et qui agissent comme une seule personne morale ("corporate descent group" en anglais).  Le lien de parenté est établi par le sang (naissance) et non par alliance (mariage).  Ainsi, dans un système matrilinéaire comme le système akan, l'appartenance au groupe de parenté (abusua) est transmise par la femme, de mère à enfants.  Par conséquent, le conjoint ou le père de cet enfant est exclu de cet abusua.

Voir le cours de Brian Schwimmer sur la parenté et l'organisation sociale.

Le groupe compte 100 à 200 membres.  Il diffère d'une organisation communautaire : le travail est divisé et réparti de manière inégale.  Le groupe de descendance peut posséder des terres, des bureaux, des maisons et prier ses propres dieux.

Afin de mieux comprendre ce système de parenté, imaginez-vous appartenir à un lignage matrilinéaire :  votre père ou conjoint est exclu de votre groupe de parenté, mais le frère de votre mère (oncle maternel) y appartient.  Le fils de l'arrière-petite-fille de la soeur de l'arrière-grand-mère de votre mère y appartient  ainsi que les enfants de votre soeur.

Un système matrilinéaire

un système matrilinéaire

Un jour, un étudiant m'a demandé si le système matrilinéaire akan était similaire à celui des Premières nations de la côte du Pacifique (Colombie-Britannique, Canada).  Les Premières nations en Colombie-Britannique sont divisées en plusieurs peuples autochtones, dont les Tlingits et les Tsimshians dans le nord, les Haidas le long des baies côtières des Îles de la Reine-Charlotte, les Wakashan au sud de celle-ci et les Salish sur la côte sud.  Il existe un mélange des systèmes de parenté du nord au sud, du système patrilinéaire au système matrilinéaire.  D'un point de vue linguistique, la nomenclature des termes de parenté des Akan est identique à celle des Iroquois (vivant dans le sud de l'Ontario, de Montréal à Windsor).  Cliquez sur Govt of BC pour visualiser la carte de la répartition des peuples des Premières nations en Colombie-Britannique (anglais).

Le système matrilinéaire ne doit pas être confondu avec le matriarcat :  le premier renvoie à la descendance en ligne maternelle, alors que le second renvoie au pouvoir de la femme.  Le système de parenté matrilinéaire akan n'est pas matriarcal. Mais si les femmes akan ne sont pas légalement dépositaires de l'autorité, elles ont néanmoins accès à certaines formes de pouvoir, de richesse et d'indépendance ;  c'est ce qu'on appelle la "gynécocratie".  Voir la page " La gynécocratie cachée derrière les apparences".  Les femmes akan jouissent d'un meilleur statut social que celles des sociétés occidentales ou patrilinéaires et patriarcales.  En Afrique de l'Est, par exemple, les femmes sont soumises et opprimées.  Le matriarcat, si on le considère comme le pendant féminin du patriarcat, désignerait un système social dont les rôles institutionnels seraient exclusivement détenus par les femmes. Or, il n'existe aucun exemple attesté de société de ce type.

Derrière les apparences.  Le fait que la condition de la femme akan (pouvoir, richesse et indépendance) soit plus favorable que dans d'autres sociétés n'est pourtant pas très visible :  la reconnaissance formelle (prestige) de la fonction n'est pas étendue à toutes les femmes, excepté pour quelques femmes-chefs, anciennes et prêtresses ; d'ailleurs, les femmes constatent qu'il est utile de garder ce pouvoir caché.

La cour d'un chef compte dix membres (anciens et anciennes), dont neuf hommes parfois. Lorsque les membres rencontrent un obstacle dans l'affaire en cours ou qu'ils doivent résoudre un conflit ou encore délibérer,  ils suspendent la séance et retournent dans leur maison matrilinéaire (là où les tabourets ancestraux sont conservés) afin de "conférer avec les ancêtres".  Et il s'avère qu'ils s'entretiennent avec les femmes âgées du matrilignage.

Les peuples matrilinéaires akan se répandirent, prirent de l'ampleur et s'installèrent sur les terres jadis occupées par les Guan, peuple patrilinéaire.  Le système matrilinéaire, fondé sur des confédérations hiérarchisées de matrilignages, permettait une organisation plus efficace pour la guerre que le système patrilinéaire, dans lequel les patrilignages ne fonctionnaient pas en confédération.  La structure des confédérations ressemblait à celle d'une armée, avec un lignage désigné à la tête de chacune des quatre positions de déploiement (avant-garde, flanc gauche, flanc droit et arrière-garde) ainsi que des affaires intérieures et du commandement suprême.  En cas de guerre, chaque lignage de la confédération jouait un rôle différent mais complémentaire (à l'image d'une équipe de football ou de hockey), ce qui, ensemble, leur permettait d'être en position de force.

Dans toutes les sociétés matrilinéaires, on peut constater un taux de divorce élevé.  Lorsqu'un des conjoints ne dirige pas toute son attention ni tous ses efforts vers l'autre conjoint, le divorce permet de garantir la force de l' abusua.  Maris et femmes habitent temporairement ensemble, de même lorsqu'ils s'établissent dans un des villages satellites pour l'agriculture ou dans une ville pour le travail ou le commerce.  Comme les femmes possèdent pouvoir, richesse et indépendance (notamment vis-à-vis de leur père et de leur mari), elles ne sont pas contraintes de rester dans la famille nucléaire pour garantir leur sécurité financière.  Les membres de l'abusua retournent fréquemment chez eux, en particulier pour les funérailles ou Pâques.  Selon la coutume, le mari et la femme doivent séjourner dans leur maison ancestrale matrilinéaire respective, même s'ils vivent ensemble dans la localité extérieure.  De cette coutume en découle une autre que des documents mentionnent : tous les soirs, les enfants quittent la maison de la mère pour rejoindre celle de leur père, portant le souper sur leur tête.

Quand un homme possèdait deux femmes ou plus, chaque membre du mariage restait dans sa maison matrilinéaire respective (un homme ne pouvait pas épouser deux femmes appartenant au même lignage, sauf dans le cas de jumelles ayant épousé un chef). L'homme devait spécifier laquelle des épouses avait le droit de passer la nuit avec lui.  Bien qu'elle soit autorisée, la polygamie reste assez rare car la plupart des hommes ne peut se permettre de subvenir aux besoins de plus d'une femme.  Si une épouse mourait, le matrilignage de celle-ci avait la responsabilité de donner une remplaçante au mari.  La relation du mariage symbolisait la confédération des matrilignages de l'oman (ex. : oman d'Obo). Chaque matrilignage était considéré comme une épouse du lignage du chef suprême de l'oman.  A la mort du chef, le lignage élisait un successeur, lequel héritait tous les actifs et passifs du défunt, dont toutes ses épouses.  Dans la plupart des cas, cette tradition n'impliquait aucun devoir conjugal vis-à-vis de ces épouses ; il s'agissait plus d'une sorte d'assurance vieillesse.  Dans la ville d'Obo, où j'ai mené mes recherches de doctorat, le chef possèdait plus de trente épouses dites "structurelles", mais ne vivait en réalité qu'avec une seule d'entre elles : la femme qu'il avait épousée avant sa nomination comme  chef.

Les missionnaires suisses arrivèrent à la Côte d'Or (ancien nom du Ghana) au milieu du XIXe siècle.  Ils y ont importé davantage que la théologie et les coutumes chrétiennes. En effet, ils ne cherchaient rien moins qu'à transformer complètement la société akan à leur image.

Les missionnaires prônaient la famille nucléaire et entendaient ainsi que les rôles de la femme et du mari soient bien définis : elle, obéissant à son mari et restant à la maison pour accomplir les tâches domestiques et élever les enfants ; lui, partant travailler pour ramener de l'argent. L'introduction de ce système signifiait également la suppression de la chefferie, des matrilignages, des ancêtres, des divinités et des autres institutions qui permettaient de perpétuer ces croyances ancestrales.

Partout où elle a été adoptée, la structure sociale chrétienne a participé au déclin de la condition de la femme.

Même si la structure sociale akan ne se fonde pas sur la néolocalité,  cette situation existe selon que le couple marié s'est établi dans ou à l'extérieur de la localité de leur abusua.  Ce système s'est développé il y a très longtemps, lorsque "s'établir à l'extérieur" signifiait résider dans un des villages satellites pour cultiver.  A chaque fois qu'ils retournaient au village pour visiter leur abusua, le mari et la femme devaient se séparer pour séjourner dans la maison de leur lignage respectif.  Cette coutume s'est adaptée au développement de l'urbanisation et à la situation des Akan devant quitter leur village pour trouver du travail en ville, dans le pays ou à l'étranger.  Le mari et la femme vivent dans une résidence néolocale à l'extérieur, mais, quand ils retournent au village, ils peuvent vivre dans une résidence duolocale, de façon temporaire pour les funérailles, les festivals et Pâques, et de façon permanente à la retraire, notamment si l'un des deux est investi de la fonction de chef.

Ce schéma de résidence duolocale dans le village natal et de résidence néolocale à l'extérieur a donné naissance à un modèle de foyer que l'on a interprété comme une évolution sociale, davantage apparente que réelle ; ces foyers urbains représenteraient le modèle résidentiel occidentalisé.

Le verbe "se marier" s'emploie de manière différente dans la langue akan. En effet, la relation de mariage peut être provisoirement interrompue en cas de dissentiments dans le couple, et le verbe en akan reflète cette particularité.

Les femmes âgées détiennent un très gand pouvoir dans la gestion des affaires de l' abusua (lignage).  Ce pouvoir n'est pas manifeste,  mais caché.  Comme je l'ai mentionné plus haut, les anciens (9 hommes sur 10), en tant que conseillers à la cour du chef, peuvent interrompre la séance pour "consulter les ancêtres".  La séance suspendue, ils rentrent en effet tous chez eux, c'est-à-dire dans la maison de leur lignage respectif, mangent parfois et s'entretiennent avec les femmes âgées de la maison de l' abusua (matrilignage).  Ces femmes âgées connaissent bien les cas traités à la cour car leur position dans leur lignée respective leur permet d'avoir une connaissance étendue des affaires familiales et d'être en mesure de conseiller les anciens durant cette interruption. C'est ainsi qu'elles ont le pouvoir d'influencer la décision que ces conseillers du chef prendront à la reprise de la séance.

Les séparations et les divorces sont fréquents, notamment après la période de procréation et d'éducation des enfants.  Ces situations sont jugées essentielles dans le maintien de l' abusua (lignage).  Plus largement, il est fréquent de constater un taux de divorce élevé dans la plupart des sociétés matrilinéaires du monde entier.

Les immigrés qui sont installés au Canada baignent dans deux cultures différentes.  Dans le cas des immigrés akan, cette situation est particulièrement significative.  Comme la plupart des immigrés, les Akan conservent des liens avec leur société d'origine, notamment leur abusua.  Puisque la néolocalité fait partie de leur société matrilinéaire d'origine, ils semblent avoir assimilé et adopté le principal modèle résidentiel canadien (la résidence néolocale), mais en apparence seulement.

Etant donné le nombre croissant de nouveaux immigrants originaires de sociétés où les structures et fonctions familiales sont différentes, la société canadienne devient de plus en plus hétérogène.  A tous ceux qui envisagent une carrière professionnelle dans la criminologie, le travail social, l'éducation à la petite enfance ou dans tout autre domaine qui exige d'intervenir ou de communiquer avec des personnes d'origines culturelles différentes, je conseille d'observer le système akan pour seulement se rendre compte que, sous des apparences parfois similaires, un modèle familial peut être très différent de celui du pays d'accueil.

J'ai approfondi le sujet dans deux documents plus techniques : La gynécocratie cachée derrière les apparences et Trois âmes.

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Mise à jour: 2012.02.28


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